Retour sur “Il faut sauver le soldat Ryan” de Steven Spielberg
Il faut sauver le soldat Ryan est un film dramatique dont l’action se passe lors du débarquement de Normandie en juin 1944. Un peloton militaire est chargé de retrouver le soldat américain James Ryan pour l’avertir qu’il est démobilisé. Une œuvre dénonçant l’atrocité de la guerre, mais avec un fond bien plus puissant.
Ce film nous emmène directement dans l’horreur absolue de la Seconde guerre mondiale ; la première scène nous prend d’angoisse en nous plaçant au cœur du débarquement, au milieu des embarcations, aux côtés des visages angoissés des soldats. Cette partie du film est un véritable documentaire sur le débarquement, avec une violence ultra-réaliste. Lorsque le capitaine Miller est sonné par les bruits de bombes, on n’entend plus les cris et les tirs alentours mais seulement une sorte d’ultrason. On saisit très bien l’abasourdissement face à ce qu’il est en train de vivre. Jamais il n’a pu imaginer un carnage pareil et son cerveau n’arrive pas à interpréter la scène tellement elle paraît surréaliste. De plus, on remarque à de nombreuses reprises que les mains du capitaine ne cessent de trembler. Ses soldats s’en rendent d’ailleurs compte et comprennent que la figure d’autorité à laquelle ils se rattachent n’est en fait pas invincible ; il s’agit simplement d’un homme avec ses peurs, en tout point semblable à eux. Le tremblement de Miller ne représente pas seulement la peur face au combat mais aussi le caractère mortel de la figure du chef. Cela renforce encore plus l’horreur, car le seul cadre auquel les soldats peuvent se rattacher n’est pas fiable à 100%.
En cela, l’œuvre de Spielberg se distingue de la plupart des films de guerre américains, dans lesquels le héros est inébranlable et surmonte tout ce qu’il vit sans laisser transparaitre une once de faiblesse. Ce film traduit donc bien la monstruosité de la guerre et en montrant sous toutes ses coutures la violence la plus épouvantable et délivre un message pacifiste qui peut se traduire simplement par “plus jamais ça”.
Cependant, l’œuvre va au-delà des standards du film de guerre et questionne l’Homme sur sa nature même. Elle nous interroge ainsi sur la valeur d’un homme par rapport à un autre ; lorsque le capitaine raconte que lorsqu’un des hommes sous son commandement meurt, il se dit que grâce à cette perte, il a pu sauver deux, voire dix autres hommes. Alors, la vie de quelqu’un que l’on connaît vaut-elle plus que celle d’un inconnu ? Spielberg interroge également sur la valeur des vies selon le camp dans lequel on se trouve ; partout, on oblige des hommes à se battre sans tenir compte de leur point de vue sur le conflit.
La thématique principale du film est le fait qu’un peloton entier doit braver tous les dangers pour aller sauver un homme. La vie de huit soldats pèse-t-elle moins dans la balance que celle d’un seul ? Si James Ryan n’avait pas perdu ses frères, sa vie importerait-elle moins ? Jusqu’où le sacrifice est-il tolérable pour un peuple ? En effet, si la mère perdait ses quatre fils, elle serait un véritable martyre de cette guerre et cela pourrait entraîner une révolte populaire. Alors faut-il sacrifier huit hommes pour éviter cela ? L’histoire du débarquement ne devient qu’un prétexte pour poser à l’Homme une interrogation sur sa propre valeur.
Enfin, ce film est subtil par les symboles utilisés. Le soldat Ryan n’est pas seulement un soldat qui a perdu ses frères, il représente le reste d’humanité que peuvent avoir des hommes qui ont connu l’horreur de la guerre ; il donne un sens à la monstruosité du conflit. Les soldats ne sont plus là pour massacrer mais pour sauver un être humain. On peut aisément concevoir la perte de leur humanité, quand leur seul but est d’anéantir l’ennemi. James Ryan représente alors l’attache qu’il leur reste avec le monde réel. Il faut le préserver à tout prix, sans quoi ils ne seront plus des hommes. Le soldat Ryan peut également représenter la liberté : les soldats se battent pour qu’il puisse retourner chez lui et vivre sa vie comme il l’entend. D’ailleurs quand il refuse de partir, le peloton respecte son choix et va lui apporter son aide pour se battre avec lui. Dans la scène finale, le capitaine Miller dit à James “Mérite-le”, c’est-à-dire mérite ce sacrifice que nous avons fait pour toi. Le film pose alors la question suivante : toutes ces abjections commises pendant cette guerre sont-elles justifiables pour la défense de la liberté face au nazisme ? La réponse de Spielberg est oui.
Ce film est somptueux par la représentation de la guerre qu’il nous offre. Les scènes, aussi insupportables soient-elles, délivrent un message de révolte contre le conflit et de préservation de la paix. Mais cette œuvre de Spielberg est aussi remarquable par le questionnement sur la nature de l’Homme qu’elle propose au spectateur. Ce film est une œuvre totale car il va bien au-delà de la simple histoire de guerre.
Lisa Behot
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